Pourquoi la contraception ne serait-elle qu'une histoire de femmes ?
Comme toute fille non-suicidaire, lorsque j'ai commencé à avoir des rapports sexuels, j'ai pris la pilule. Avoir un enfant à seize ans, ça ne tente personne, ou alors uniquement les personnes qui le regretteront trois jours plus tard... Nous les filles, on est complètement prêtes à connecter nos neurones une minute par jour pour se rappeler du petit cachet, si ça nous permet de continuer notre tranquille vie de jeunes, faite de grasse matinées et de temps libre (bien trop libre).
Et puis un jour, ma mémoire a fauté. J'ai passé la soirée sur l'ordinateur, et à cause de mes yeux imbibés de sang qui réclamaient à tout prix du sommeil, j'ai été m'étaler dans mon lit. En oubliant le fruit de ma survie dans sa plaquette.
Je m'en suis rendue compte à la fin de la dite plaquette, lorsqu'une mystérieuse pilule était bizarrement encore là, alors qu'elle n'était pas censée être là. C'était mon jour d'arrêt, pourquoi cette foutue petite boule blanche était encore à sa foutue place ? Et là, j'ai compris : j'avais oublié ma pilule.
Oublier sa pilule, c'est comme faire le test du SIDA. Pendant quelques jours, tu as l'impression d'avoir une épée de Damoclès au dessus de la tête, tu comptes les jours, tu t'imagines déjà avec un tas de pépins à gérer, tu as tellement peur que le pire arrive que tu n'arrives plus à visualiser ta vie sans ce « pire ». Tu te dis que c'est trop tard, c'est foutu, et tu attends juste la confirmation.
Pendant ces quelques jours, j'ai eu quelques élans de haine. Déjà, lorsque j'ai eu la bêtise de confier mon oubli à mon copain, je n'ai eu droit qu'au fameux : « C'est pas dur de la prendre une fois par jour, tu pourrais faire gaffe, si tu es enceinte tu avortes hein, et patati, et patata ». Oh, merde, quoi. Nous les femmes, c'est bien connu, nous sommes les robots de l'humanité, nous n'avons pas le droit à l'erreur, et si un court-circuit arrive, tout le monde fout le camp. On doit assumer seules. Ces hommes-là (pas les autres, vous savez, ces jolis princes charmants qui répondent spontanément, avec un gros cœur dans les yeux : «Quoi qu'il arrive, je serai là pour toi »), se sont-ils déjà demandés comment eux géreraient cela ? Non, après tout, c'est la femme qui tombe enceinte, alors c'est à la femme de faire gaffe, c'est logique. Bien sûr, celui qui plante la graine n'a aucun rôle là-dedans. Leur arrive-t-il de penser, qu'après tout, c'est leur faute ? Bah, oui. Imaginez. Le mec lâche sa petite vinaigrette, et tout se met en place. Les spermatozoïdes du monsieur, dans un combat effréné, jouent des coudes pour arriver le plus vite possible à la ligne d'arrivée et s'implanter là où la vie commencera ! La sueur au front, ils se regardent comme des chiens affamés, ils battent des ailes, vite, vite ! Et là, miracle, un brave soldat remporte la victoire ! Il y est ! Ca y'est ! Madame est enceinte ! Hé ho, vous voyez, elle n'y est pour rien la nana, elle subit, c'est de la faute à l'homme et à son fichu warrior-spermatozoïde.
Bah oui. Voilà de la logique, de la vraie logique. Et voilà aussi ce qu'une pauvre fille ayant oublié sa pilule se met à penser en attendant ses règles. Voilà ce que l'angoisse provoque chez la femme qui doit empêcher seule la vie de se former dans son bide. Oublier la pilule, vu les délires complètement fumés que cela provoque, c'est un peu comme se droguer. Tout est décuplé, tu t'énerves pour de la mousse dans le lavabo, tu trembles devant une pub pour les tampons, et tu maudis les jours qui passent.
Et puis, un soir, tu as mal au ventre. Et tu n'as jamais été aussi contente d'avoir mal au ventre. Tu as tes règles. Tu n'es pas enceinte. Ton copain te dit juste : « De toute façon, c'était sûr », et il en oublie presque qu'il te parlait d'avortement deux jours avant. Puis, soudainement, comme tu n'as plus que le souvenir de ton angoisse, tu as le temps de t'énerver pour autre chose : pourquoi est-ce moi qui ait angoissé, alors que c'est pas toute seule que j'ai fait l'amour ? Pourquoi la pilule, c'est un truc de femmes ? Pourquoi mon copain ne partage-t-il pas les frais de ma pilule, alors que je ne suis pas la seule concernée par la procréation potentielle d'un être humain fait de notre chaire à tous les deux ? Pourquoi leur responsabilité s'arrête-t-elle à l'entrée de notre utérus ?
Alors voilà, un jour, j'ai fait une expérience complètement magique : j'ai pris involontairement le risque d'être enceinte. Et cela m'a complètement ouvert les yeux sur la vie ; premièrement, mon mec est un petit con immature complètement centré sur son pénis qui mérite la castration pour son égoïsme à la limite du sexisme, deuxièmement on n'aura jamais assez de dix alarmes pour nous prévenir d'aller prendre notre pilule, et troisièmement : ça a mis de l'adrénaline dans ma vie, mine de rien.
Revenons plus amplement sur les quelques raisons qui font que prendre la pilule, pour une femme, n'est pas un geste si anodin. A force, c'est entré dans les moeurs, ça nous semble tout naturel de la prendre chaque soir, d'y penser, et de nous en vouloir si on l'oublit. Cela nous semble logique d'aller payer des consultations au médecin ou au gynéco tous les trois mois (pour ma part) juste pour avoir une nouvelle ordonnance. Cela nous semble naturel et même génial, qu'on nous autorise à avaler quelque chose qui nous permet d'éviter toute grossesse, comme si on avait le choix !
En fait, parfois, lorsque je prends ma pilule, ce n'est pas du tout ce que je ressens. Je me sens chargée d'un énorme poids. Chaque fois, je prends ma plaquette, j'extrais ma pilule, je l'avale et je retourne vacquer à mes activités. Tous les soirs. Et mon copain dans tout cela ? Il n'est nulle part ! C'est bien simple, et je pense que cela se passe comme ça dans la plupart des couples : arrivés à un certain moment, lorsque c'est possible, on abandonne le préservatif, et ça nous fait du bien à tous les deux. Monsieur n'a plus à y penser. Et pour le reste, il n'a plus grand-chose à glander non plus, sauf nous engueuler si on l'oublie et qu'on tombe bêtement enceinte. EVIDENT.
En nous faisant croire qu'on met à notre disposition par bonté d'âme ce sésame de la liberté qui permet de faire l'amour sans la menace de la grossesse, on agrandit justement la menace. On nous met la pression. "Hé ho, on te file ta pilule, donc bien sûr, si tu tombes enceinte, c'est entièrement de TA faute". Certes. Eh bien, si c'est de notre faute et que les hommes ne peuvent s'empêcher de nous en vouloir un peu en cas d'oubli, pourquoi ne pas les mettre à contribution également ? Cela diminuerait le risque, non ? Personne ne se sentirait biaisé ou chargé seul d'une grosse responsabilité qui résulte pourtant d'une partie de plaisir à deux...
Dans les phrases que j'ai entendu de la part de mon propre homme (qui est pourtant un ouvert d'esprit), vous prendrez bien un peu de :
"Bah, pourquoi je paierais la moitié de ta pilule ? C'est toi qui la prends, non ?" "Oui mon chéri, j'ai donc le droit de tomber enceinte, vu que c'est moi qui décide ?" "Ah bah non, ça va pas ou quoi !"
Traduction : "Ma puce, tout a été fait pour que ça soit à toi que revienne la faute en cas de pépin et que ça soit à toi de flipper tous les jours pour que tu ne l'oublies pas, ce sont tes petites affaires, moi je n'ai rien à faire là-dedans, et puis d'ailleurs ça m'arrange bien, parce que si je devais être le seul chargé de faire en sorte qu'on n'ait pas d'enfant, je finirais par m'évanouir de peur sous la responsabilité".
Mentalité masculine, bonjour...
"Bien sûr que oui, si c'était à moi de la prendre, j'y penserai tous les jours !"
Traduction : "Je dis ça, mais je sais que même si la pilule masculine était commercialisée, je ne l'achèterai pas et je te laisserai te démerder comme d'habitude. Je peux donc promettre ce que je veux, c'est uniquement pour frimer comme un paon, et bien sûr, ce n'est que de la gueule !"
Cette manie de parler alors qu'ils n'ont jamais eu à y faire face, à cette responsabiltié quotidienne... Déjà qu'ils sont pas foutus d'avoir des capotes sur eux une fois sur deux, et qu'ils tentent toujours un petit "on le fait sans ?", parce qu'on sait jamais que la nana soit débile... Laissez-moi me gausser.
"La pilule masculine ? Mais ça sert à rien, y a déjà celles des femmes ! Pas question que je la prenne, c'est inutile, et en plus c'est moins sûr."
Traduction : "Moi ça me va très bien de garder ma virilité intacte dans mes testicules, je préfère que tu continues à trafiquer tes hormones toute seule pour qu'on se retrouve pas avec des jumeaux sur les bras et que je ne sois pas obligé de t'abandonner avec les mômes."
L'ego masculin, cette idée que nous, ça ne nous fait rien de modifier notre corps et notre organisme pour prolonger leurs années de liberté, alors que trafiquer leurs hormones masculines, ce serait tout de suite plus insultant. Attends quoi, faut pas déconner meuf.
"Si tu tombes enceinte, tu avortes hein ! Il fallait prendre la pilule !"
Traduction : "Je ne sais pas ce que ça fait de se faire enlever une vie du ventre, je ne sais pas que ça peut être très traumatisant, et je ne le saurai jamais car je n'ai à m'occuper de rien. En plus, comme je flippe, je parle sans réfléchir, quitte à te pousser à faire une connerie très douloureuse pour toi..."
Un homme, sur le coup, ne penserait jamais ce que j'ai mis dans la traduction. Il ne verrait que sa peur, sa surprise, son angoisse. Mais c'est bien l'idée principale du problème...
Alors voilà, je ne veux pas non plus faire de généralités, car les hommes ne sont pas tous des peureux et des nombrilistes (ou juste des ignorants, ce qui est normal, vu qu'ils ne sont pas dans un corps de femme !). Mais c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, pour les raisons évoqués dans mon épisode d'oubli de pilule. J'ai flippé pendant plusieurs jours, et même une amie m'a fait remarquer qu'on n'était pas censée l'oublier ! Comme si la responsabilité féminine dans cette affaire était toute naturelle et impossible à remettre en cause. Bien sûr, quand on décide de prendre la pilule, c'est à nous de nous en rappeler. Mais c'est bien dommage que sous prétexte que la femme porte la vie, c'est uniquement à elle de faire en sorte que le pire n'arrive pas. Elle porte la vie, mais zut, quelqu'un est bien venu lui offrir gracieusement le petit truc qui la crée, n'est-ce pas ?
Alors, vous l'aurez compris dans cette article : je suis à 100% POUR la contraception masculine en complémentarité. Si c'est possible, il n'y a pas de raisons !
Je vous invite vivement à voir cette courte vidéo qui illustre parfaitement mon article ! Cliquez ici !